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Professeur des universités à l'Université Pierre Mendes-France, Grenoble II. Enseignant-Chercheur en Sociologie et Sciences Sociales diplômé de l'Université Lumière Lyon II. Diplômé (HDR) de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris. Une grande partie des études réalisées à l'Université de Provence d'Aix en Provence. Collaboration avec "Cabinet Chrysippe, R&D en sciences humaines et sociales (www.chrysippe.org)

jeudi 25 avril 2013

Empathie... Vous avez dit Empathie ?

Hier je suivais distraitement du coin de l’œil l'émission de Yves Calvi sur  sur la chaine 5."Les nouveaux terrorismes" sur C dans l'air. 
Pierre Servent, un des invités, spécialiste des question de défense, tenta une explication de ces formes de terrorisme, en expliquant, qu'il y aurait selon Boris Cyrulnik une perte ou un manque d'empathie chez ces terroristes. L'empathie est un mot qui revient souvent en Anthropologie, et Boris Cyrulnik en donne une définition intéressante dans un de ses ouvrages co-écrit avec Edgar Morin :

"En tant qu'homme j'appartiens à la seule espèce vivante capable de me figurer les représentations de l'autre. Je suis alors contraint à partir à la découverte du monde mental de l'autre, de ses théories, de ses représentations et de ses émotions. Je suis donc forcé à ne pas vivre dans un seul monde – sinon je me transforme en dictateur – et si par malheur le pouvoir politique m'est accordé, je peux imposer ma vision du monde qui va détruire la société au nom d'une vision cohérente qui est la mienne. Ce qui signifie au fond que l'empathie propose peut-être la seule justification morale à être ensemble. Cette morale fondée sur le plaisir, le désir de découvrir des théories et les représentations des valeurs de l'autre s'oppose aux morales perverses."

J'ai failli me dire : tiens ils nous la ressortent celle-là ! Ben oui dans les études d'ethnologie et de sciences sociales c'est la tarte à la crème dès la 1ère année ! Chez les mystiques aussi !

L'empathie serait cette capacité à ressentir ce que ressent l'Autre, à percevoir la façon dont il se représente le monde. Jusque là tout va bien, sauf que Boris Cyrulnik en parle comme d'une morale, c'est à dire une éthique (une utopie ici ?) qui serait "normale", mais il ne nous dit pas comment elle se développe ou s'apprend. Dans les faits, peu ou prou de personne éprouvent de l'empathie avec d'autres personnes et encore moins si ces Autres sont très éloignés de nous par leur culture (maghrébins ?), leur statut (pauvres riches ?), leur genre (femmes, homosexuels et trans ?), leur taille (nains, gros, géants ?), leur âge (enfant ou vieux ?), leur apparence physique (laid, paralysée, amputée, difforme ?), etc.

Pour avoir réalisé de nombreux terrains de recherche en France et à l'étranger, cette question de l'empathie me semble être quelque peu du préchi précha, genre "I Love you" dans les séries américaines ou encore dans les réunions des alcooliques anonymes. Pourquoi devrions-nous aimer tout le monde ? Pourquoi nous mettre à la place des autres ? Vous aimez votre percepteur vous ? Ou encore le policier qui vous met une contravention ? Ou le type qui a violé votre fille ou votre femme et qui l'a découpé après ? Ou encore ce sale con de prof qui vous fait toujours la morale en se croyant au-dessus de vous ? Pas sûr !

L'empathie évoque une relation, une mise en situation, aller avec l'Autre, le ressentir, le comprendre, percevoir ses ennuis et sa souffrance... Oui mais une relation ça se construit et ça prend du temps comme l'explique Le renard au Petit Prince. Peu importe l'Autre, rien ne m'oblige à le fréquenter ou l'apprécier ou mieux l'aimer...  

Mais si Je choisis d'entrer en relation avec l'Autre, avec la volonté bien accrochée d'avoir une vraie relation d'égalité, de respect, d'échange, d'amour, que peut-être, même le droit ne peut créer totalement, alors il faudra prendre le "risque" de construire cette relation comme nous l'avons montré avec mes collègues sociologues à partir d'un travail sur les marins de la marine nationale. L'empathie n'est pas donnée à priori, elle s'éprouve, se met à l'épreuve, car il s'agit de construire un espace sémantique commun à Je (moi) et Nous (les autres), et non pas rester sur des positions personnelles en attendant que l'Autre fasse le chemin vers moi....

Dans le cas des terroristes, si ces gens là n'ont pas envie de se reconnaître dans les autres et d'échanger avec eux, pourquoi devraient-ils le faire, ou quel principe supérieur motiverait leur démarche vers les autres ? Plus encore, si le terroriste dénie toute humanité à l'autre, en face, cette humanité que lui prétend détenir, alors il peut même le supprimer sans en être ému, pourquoi pas ? Dans ce dernier cas, dans la tête du terroriste, ce ne sont pas un ou des hommes qu'il aura abattu, mais "quelque chose" qui le gênait ou le menaçait, lui et ceux qui sont comme lui. Bien entendu, cela peut être accentué en situation de déclassement social, de migration, etc.

Mais hélas, les terroristes idéologiques ne sont pas les seuls à manquer d'empathie : les riches manquent d'empathie pour les pauvres, les hétéros pour les homos, les parents pour les enfants, etc., à l'heure où j'écris, un homme vient d'abattre sans raisons, plusieurs personnes à Istres dans les Bouches du Rhône, il semblait "tout à fait normal" selon les dires des voisins...



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