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Professeur des universités à l'Université Pierre Mendes-France, Grenoble II. Enseignant-Chercheur en Sociologie et Sciences Sociales diplômé de l'Université Lumière Lyon II. Diplômé (HDR) de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris. Une grande partie des études réalisées à l'Université de Provence d'Aix en Provence. Collaboration avec "Cabinet Chrysippe, R&D en sciences humaines et sociales (www.chrysippe.org)

samedi 6 avril 2013

Les pauvres tiennent compagnie aux riches

 
Je suggérais il y a, quelques temps, lors d'un de mes passages à RMC dans l'émission "Les Grandes Gueules", qu'il faudrait que les riches épousent des chômeurs(euses) afin de partager leur fortune et leur destin tout en se renouvelant. Un bon moyen de lutter contre le chômage et une façon de relancer l'ascenseur social ou de jouer au Monopoly les soirs d'hiver à la veillée : 
"J'achète les Champs-Elysées !
- Chérie je ne te l'ai pas dit, mais nous les possédons déjà..."

L'idée peut paraître incongrue, sauf que, ce que l'on nomme en anthropologie l'hypergamie, est une pratique assez courante dans la plupart des cultures, le fait que l'un des époux soit issu de catégorie sociale ou de classe sociale inférieure. Le plus souvent d'ailleurs, se sont les épouses qui sont en position d'infériorité dans les pratiques de mariages hypergamiques mais l'inverse est vrai aussi. Les coureurs(euses) de dote sont de cet genre. On peut y voir aussi, en filigrane, pour les plus défavorisés, le maçon du coin ou la poissonnière marseillaise rêvant de mariages princiers...

Ma boutade sur RMC m'est revenue à l'esprit en lisant un article publié dans Le Monde qui a attiré mon attention :


La solitude et la pauvreté relationnelle seraient le fait des sociétés développées et des catégories sociales les plus riches : on pourrait résumer grosso modo en disant que: chez les riches on crève d'ennui et de manque d'affection tandis que les pauvres se marrent et sont plus chaleureux et charnels.  

On croit pouvoir observer depuis la coupe du monde de football en 1998, un certain regain d'encanaillement  des catégories de bobo et BC-BG qui ont envahi les stades a tel point qu'un amateur de foot interviewé au journal d'informations sur France 2 pour le match PSG-Barca disait : 
"Les places pour aller voir un match sont de plus en plus chères et de plus en plus rares à cause de ces gens qui ont de l'argent et qui vont au foot".

Et oui les riches vont jusqu'à piquer les loisirs des pauvres ! Ils font aussi monter les prix de l'immobilier en PACA, au Maroc, etc., pour n'y habiter que quelques semaines par an avec pour résultat que les gens modestes ne peuvent plus se loger vue la hausse des loyers et des terrains. Et maintenant ils vont chercher des pauvres pour leur tenir compagnie comme dans le film "Le jouet".

Une analyse plus fine montrerait que les catégories sociales aisées ont besoin se commettre avec les gens du peuple pour asseoir leur légitimité en termes de domination culturelle, économique et sociale : rappelez vous que les grands historiens du Moyen-âge, E. Leroy-Ladurie, G. Duby, etc., montraient comment lors des fêtes publiques, le carnaval par exemple, toutes les catégories sociales se mélangeaient et les pauvres pouvaient aussi à loisir critiquer les puissants. Une fois la fête finie, tout rentrait en ordre, et tout le monde reprenait sa place et jouait sa partition et pas celle de l'autre, il faut revoir le film Nôtre Dame de Paris ou relire le roman.

Ce types de représentation un peu néo-colonialiste est également rapporté par les touristes, pas forcément aisés d'ailleurs, revenant de quelque voyage vers des pays "sous-développés" ou pour le dire pudiquement, comme il sied à un anthropologue, "en voie de développement" : 
"C'est vrai que les gens sont pauvres dans ces pays mais ils sont tellement chaleureux, gais et généreux !".

 Que d'images d’Épinal qui tendent à justifier la pauvreté et à légitimer que pour être riche, il a fallu que ces catégories sociales dominantes aient sacrifié et perdu en route quelque chose de leur humanité et de leur vie intérieure. C'est tellement rassurant d'avoir plus pauvre et plus malheureux que soi ! C'est tellement rassurant d'être riche et de savoir qu'on en a payé le prix ! Et puis qui voudrait encore être riche quand on les voit tristes esseulés, ne doit-on pas les plaindre ?  Pauvres riches ! 
Les médias de la presse écrite et télévisuelle font leur choux gras de ce types d'histoires.
Quand j'entends ces propos colportés par des voyageurs, je ne peux m'empêcher de penser à "l'Ecole des fans" de Jacques Martin et l'humour avec lequel cet animateur mettait en scène les enfants :"Mais je connais ton village, il y a une église... et une boulangerie..." bien entendu il faisait malicieusement état de lieux communs à tous les villages français et au-delà. 

Au retour de votre prochain voyage vers des terres lointaines, faite l'expérience et dites à vos amis "Ah oui dans ces pays où les gens sont vraiment dénués de tout, les enfants sont joyeux et ne pleurent pas, les gens sont chaleureux et donnent tout ce qu'ils ont... et puis, ils ont toujours le sourire...", vous pourrez lire sur le visage de vos amis l'expression entendue de ceux qui savent de quoi il retourne. 

Sauf que dans ces pays là, l'illusion du bonheur occidental à la mode du "noble sauvage" s'estomperait vite si vous deviez y vivre : être touriste c'est une chose, vivre dans le dénuement au quotidien en est une autre : question de statut et de fantasmes aussi. Si vous souhaitez aller plus loin sur ce thème et avant que je ne poursuive mon billet d'humeur, je vous recommande le très bel ouvrage de feu mon Professeur Georges Condominas, L'exotique est quotidien ou encore la revue contemporaine "Survival international" qui vous parlera de la lutte des sociétés traditionnelles, aujourd'hui, pour ne pas disparaître tout à fait :


Les pauvres et les riches se sont toujours enviés il semble dans leurs manques respectifs. Je me souviens au lycée avec mes copains comme nous rêvions de sortir avec "des filles de bourges qui sentaient bon" tandis qu'elles rêvaient de s'acoquiner avec "des mecs des vrais, un peu zone"...  alors pourquoi tant de cinéma et tant d'hypocrisie, mélangez-vous et tout le monde y gagnera ! Fric, chaleur, travail, etc.
Ah oui mais... et la transmission du patrimoine, la propriété ? Ben faut pas que ça se disperse et se dilapide avec n'importe qui...Retour à la case départ !

3 commentaires:

  1. a quand un monoply "globalisation et paradis fiscaux" pour les CSP++, ou on apprendrait en famille le parfait parcours a suivre via des banques luxembourgeoises, suisses,monégasques, jusqu'aux caïmans, et toutes les astuces pour éviter la case "prison"

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  2. la campagne ironique au Canada m'a fait penser a une autre initiative du même genre en lien d'ailleurs avec vos commentaires sur les clichés vis a vis des "terres lointaines" et des réflexes vaguement humanitaires sur le mode de la charité qui sont souvent associés : http://www.rtbf.be/info/medias/detail_une-video-contre-les-cliches-sur-l-afrique-parodiant-une-campagne-humanitaire?id=7879176

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  3. J'aime bien cet article, notamment le passage sur le refrain éternel du retour de voyage "Ils vivent heureux avec si peu de choses..." etc.

    Pierre Desproges disait cela : "Il faut prendre aux riches pour donner aux pauvres, et vice versa. En temps de PAIX par exemple les riches auront le droit de prendre la sueur au FRONT des pauvres, mais en temps du GUERRE, les pauvres pourront prendre la place de riches, au FRONT également!"

    Nicolas

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